Pour associations d'idées
« A voir un homme, et même à l’entendre, qui donc se vanterait d’être assez perspicace pour déterminer à coup sûr l’étendue de son bonheur ? Tout de même, à en juger par les apparences, Me Galibourg est heureux. Il vit dans le passé ; il vit dans le présent ; il espère bien vivre dans l’avenir. Ses traits, tout au moins, passeront à la postérité. N’a-t-il pas son effigie sculptée sur l’un des piliers de l’église St Nazaire ? Il serait dommage que sa mémoire ne suivît pas le même chemin et que nos arrières neveux ne se souvinssent pas de celui qui garde, si fidèlement, le souvenir de nos aïeux et de de nos grands-oncles. Personne à St Nazaire ne possède comme lui la généalogie de toutes les familles qui se sont succédées sur ce coin de terre, dont il se rappelle aussi les transformations rapides. Si vous êtes amants du passé et s’il a, par hasard, une heure à perdre, faites avec lui une promenade le long de nos rues. Dans une conversation étincelante et de verve et bourrée de faits précis, il fera, par enchantement, disparaître de votre vue la plupart des maisons qui vous entourent et, sur le terrain ainsi déblayé, il évoquera les vestiges anciens. A sa voix, les morts ressusciteront avec leurs vieilles habitudes et leurs manies d’antan.
N’ayez cure cependant en vous plongeant avec lui dans le passé, Me Galibourg n’est pas homme à perdre pied hors du présent. Tout en tournant de temps à autre la tête vers les temps envolés, il marche avec son siècle ; mais prudemment, sans faire de faux pas et en choisissant son terrain.
C’est ainsi qu’il n’a jamais voulu faire de politique. Il en a tant vu se brûler les ailes au soleil de la popularité que, de peur d’en être ébloui, il lui tourne le dos. Les questions plus tranquilles de droit et d’érudition lui agréent davantage. Il vient d’être nommé président de la Société de Géographie de St- Nazaire et lui a déjà donné une impulsion nouvelle en innovant des conférences littéraires et scientifiques.
Mais, au fond, comme il est naturel, il est et demeure avocat. La jurisprudence maritime n’a pas de secret pour lui. Son opinion fait autorité et, maintes fois, en divers congrès, il représente dignement St Nazaire, la Bretagne, voire la France. Ce qui ne l’empêche pas, bien entendu, de défendre la veuve et l’orphelin et même le commun des plaideurs qui n’entrent point dans ces deux catégories consacrées au Palais. Il vous mène allègrement tout ce monde là à travers tous les tortueux dédales du Code et, devant le Tribunal qui l’écoute volontiers, il développe et défend sa thèse avec une bonhomie où percent souvent les pointes ironiques et savoureuses… tout au moins pour la galerie sinon pour l’adversaire ! »
Jean Dugast – Le Nouvelliste de Bretagne – mars 1914