A LA SANTE
Avant d’entrer dans ma cellule Il a fallu me mettre nu Et quelle voix sinistre ulule Guillaume qu’es tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe Au lieu d’en sortir comme il fit Adieu adieu chantante ronde Ô mes années ô jeunes filles
Non je ne me sens plus là Moi-même Je suis le quinze de la Onzième
Le soleil filtre à travers Les vitres Ses rayons font sur mes vers Les pitres
Et dansent sur le papier J’écoute Quelqu’un qui frappe du pied La voûte
Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté On y fait couler la fontaine Avec les clefs qu’il fait tinter Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à côté On y fait couler la fontaine
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus Et peints de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur Toi qui me l’a donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur Le bruit de ma chaise enchaînée
Et tous ces pauvres cœurs battant dans la prison L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison Et ce désespoir qui la gagne
Que lentement passent les heures comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure où tu pleures Qui passera trop vitement Comme passent toutes les heures
J’écoute les bruits de la ville Et prisonnier sans horizon Je ne vois rien qu’un ciel hostile Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle Une lampe dans la prison Nous sommes seuls dans ma cellule Belle clarté Chère raison
Guillaume Apollinaire – Septembre 1911 (Alcools)